Donation de 2000 écus à Macé Héron, trésorier général du duc, 1415 (8 G 1452 [TSC 1450]).
Donation de 2000 écus à Macé Héron, trésorier général du duc, 1415 (8 G 1452 [TSC 1450]).
Original sur parchemin, jadis scellé sur simple queue. 680 x 1016 mm. Bourges, Archives Départementales du Cher, 8 G 1452 [TSC 1450].
Dossier préparé par Jean-Louis Simon, sous la direction d'Olivier Guyotjeannin et Olivier Matteoni.
1415 (n. st.), 12 janvier. — Paris, hôtel de Nesle.
Jean, fils de roi de France, duc de Berry et d’Auvergne, etc., mande aux gens de sa chambre des comptes à Bourges d’autoriser l’inscription en dépense dans le compte, clos au 31 mars 1414, de son trésorier général Macé Héron de 2000 écus à lui donnés par le duc. Les gens des comptes faisaient difficulté au motif qu’une partie du don visait à rembourser au trésorier la somme de 620 écus qu’il avait dépensée pour racheter une croix d’or garnie de pierrerie, offerte par lui au duc à titre d’étrennes pour le jour de l’an 1413, alors que les inventaires des joyaux du duc, conservés en la chambre des comptes, attestaient que la croix, propriété du duc, avait été sur son ordre remise par le garde de ses joyaux, Robinet d’Étampes, aux chapelains, clercs et sommeliers de la chapelle ducale, à titre de gage pour le paiement des rentes dues à eux par le duc. Ce dernier certifie que les membres de la chapelle avaient à leur tour engagé la croix à un marchand, qui leur avait fait avance des sommes attendues, avant que d’être rachetée par le trésorier et remise au duc.
- Un acte inspiré des mandements royaux
Au plan diplomatique, conformément à sa nature juridique, l’acte affiche d’entrée de jeu sa qualité de document d’administration courante : simple queue de parchemin, absence de marge à droite, écriture claire mais sans fioriture. L’adresse collective, le primat donné à l’exposé circonstancié des faits, l’absence d’annonce du sceau dénoncent tout autant le genre du « mandement » (ou « lettres sur simple queue de parchemin »), étroitement inspiré par le modèle royal – mais comme de coutume non traduit dans la couleur de la cire (de rigueur « blanche » à la chancellerie du roi). Le sceau de cire rouge qui a servi à sceller l’acte reproduit partiellement la gravure du sceau que le duc utilisait depuis 1410 et on peut lire le mot « Alvernie » qui figurait dans la légende. Ce sceau correspond au 3e grand sceau comme duc de Berry (M.-A. Nielen, Corpus des sceaux…, t. III, p. 235).
Une encre beaucoup plus pâle (mais la même main ?) est employée pour la dernière ligne de l’acte (portant les données de la date) et les mentions hors teneur, indice d’une préparation de l’acte en deux temps, texte d’abord, date et mentions hors-teneur ensuite, sans doute au moment du scellement.
- Les expédients financiers du duc de Berry
Le témoignage offert par l’acte est riche, et en premier lieu sur la difficulté chronique à payer à temps les gages et pensions des serviteurs du prince. Leur versement est gagé sur un objet précieux qui passe de main en main, du duc aux membres de sa Chapelle, de ceux-ci à un marchand qui la garde pour avoir versé à la place du trésor ducal tout ou partie des pensions dues, du marchand au trésorier qui lui rachète la croix, apparemment sur ses deniers propres et reçoit remboursement du duc, sur la caisse qu’il gère, enfin du trésorier au duc à titres d’étrennes : moins qu’un cadeau personnel du trésorier au duc, ces « étrennes », comme la somme assignée au trésorier, permettent de qualifier comme « dons », créateurs de liens, une série d’opérations financières circulaires. On sait d’ailleurs que, durant son premier siècle d’existence, la Chapelle puisa à plusieurs reprises dans son trésor, utilisé pour faire entrer des fonds.
L’acte donne aussi un aperçu du travail de la Chambre des compte, et de la conservation de documents de contrôle (ici les inventaires de joyaux), pas forcément à jour.
- Transcription paléographique
Jehan, filz de roy de France, duc de Berry et d’Auvergne, conte de Poictou, d’Estampes, de Bouloingne (et) d’Auvergne, a noz amez et feaulx gens de noz comptes a Bourges, salut et dilection. N(ost)re amé et feal conseill(ie)r et tresorier general Macé Heron nous a exposé que, comme nous lui ayons pieça donné la somme de deux mille escuz, tant pour les bons, agreables (et) notables services et plaisirs qu’il nous avoit lors faiz et faisoit comme pour le recompenser d’une croiz d’or garnie de p(er)rerie qu’il nous avoit donnee a estrainnes le premier jour de l’an mil CCCC (et) treize, du pris de six cens (et) vint escuz, comme par noz l(ett)res sur ce f(ai)c(t)es vous est apparu, par vertu desquelles il ait voulu prandre en la despense de son compte finy au darrain jour de mars passé a sa descharge ladicte somme, ainsi que faire le povoit, neantmoins vous avez esté reffusans de la passer en sondit compte, disans que vous aviez esté a plain informez par les comptes de noz joyaulx qui sont par devers vous en la chambre de nosd(iz) comptes ou autrement deuement que lad(i)c(t)e croiz estoit n(ost)re et par n(ost)re ordonnance et mandem(en)t avoit esté ja pieça baillee par n(ost)re amé (et) feal conseill(ie)r (et) garde de nozdiz joyaulx Robinet d’Estampes a noz chappellains, cl(e)rs et so(m)mel(ie)rs de n(ost)re chappelle en gaige pour certaine somme en deduction(ement) de ce qui deü leur estoit lors a cause de leurs gaiges ou pension qu’ilz prenoient (et) ont de nous, et par ainsy ne contenoient pas verité nosd(i)c(t)es l(ett)res ne n’en devoit joïr n(ost)redit tresorier, qui sur ce nous a requis n(ost)re gracieuse provision afin qu’il puisse joïr de sondit don. Pourquoy nous, consideré ce que dit est, voulens vous estre a plain acertenez sur ce, vous certiffions par ces p(rese)ntes que par n(ost)redicte ordonnan(ce) (et) mandem(en)t et pour la cause dessus dicte n(ost)redit conseill(ie)r et garde de nosd(iz) joiaulx bailla ja pieça lad(i)c(t)e croiz a nosdiz chappellains, clers et so(m)melliers de n(ost)re chappelle, qui pour lad(i)c(t)e somme l’engaigerent, et pour icelle som(m)e l’avons lessee encourir et consenti que le marchant qui sur ycelle avoit baillé la finance en peust faire (et) ordonner co(m)me de sa p(ro)pre chose ; et depuis n(ost)redit t(re)sorier l’achata dudit marchant ledit pris de six cens vint escuz qu’il a paiez de ses deniers et la nous donna ausd(i)c(t)es estrainnes, dont il nous fist t(re)s grant plaisir, et pour ceste cause (et) aut(re)s dessus declairees lui donnasmes lad(i)c(t)e somme de deux mille escuz. Si voulons et vous mandons que icelle somme vous allouez en sondit compte ou en l’estat d’icellui, en rapportant ces p(rese)ntes tant seulem(en)t, non obstant ce qui par vous avoit esté allegué et quelxconques ordonn(ances), mandem(en)s ou deffenses au contraire. Donné à Paris, en n(ost)re hostel de Neelle, le XIIe jour de janvier, l’an de grace mil CCCC et quatorze.
Par monseign(eu)r le duc.
Faverot.
- Edition
Jehan, filz de roy de France, duc de Berry et d’Auvergne, conte de Poictou, d’Estampes, de Bouloingne et d’Auvergne, a noz amez et feaulx gens de noz comptes a Bourges, salut et dilection. Nostre amé et feal conseillier et tresorier general Macé Heron1 nous a exposé que comme nous lui ayons pieça donné la somme de deux mille escuz, tant pour les bons, agreables et notables services et plaisirs qu’il nous avoit lors faiz et faisoit comme pour le recompenser d’une croiz d’or garnie de perrerie qu’il nous avoit donnee a estrainnes le premier jour de l’an mil CCCC et treize2, du pris de six cens et vint escuz, comme par noz lettres sur ce faictes vous est apparu, par vertu desquelles il ait voulu prandre en la despense de son compte finy au darrain jour de mars passé a sa descharge ladicte somme, ainsi que faire le povoit, neantmoins vous avez esté reffusans de la passer en sondit compte, disans que vous aviez esté a plain informez par les comptes de noz joyaulx qui sont par devers vous en la chambre de nosdiz comptes ou autrement deuement que ladicte croiz estoit nostre et par nostre ordonnance et mandement avoit esté ja pieça baillee par nostre amé et feal conseillier et garde de nozdiz joyaulx Robinet d’Estampes3 a noz chappellains, clers et sommeliers4 de nostre chappelle en gaige pour certaine somme en deductionementa de ce qui deu leur estoit lors a cause de leurs gaiges ou pension qu’ilz prenoient et ont de nous et par ainsy ne contenoient pas verité nosdictes lettres ne n’en devoit joïr nostredit tresorier qui sur ce nous a requis nostre gracieuse provision afin qu’il puisse joïr de sondit don. Pourquoy nous, consideré ce que dit est, voulens vous estre a plain acertenez sur ce, vous certiffions par ces presentes que par nostredicte ordonnance et mandement et pour la cause dessus dicte nostredit conseillier et garde de nosdiz joiaulx bailla ja pieça ladicte croiz a nosdiz chappellains, clers et sommelliers de nostre chappelle, qui pour ladite somme l’engaigerent, et pour icelle somme l’avons lessee encourir et consenti que le marchant qui sur ycelle avoit baillé la finance en peust faire et ordonner comme de sa propre chose ; et depuis nostredit tresorier l’achata dudit marchant ledit pris de six cens vint escuz qu’il a paiez de ses deniers et la nous donna ausdictes estrainnes, dont il nous fist tres grant plaisir, et pour ceste cause et autres dessus declairees lui donnasmes ladicte somme de deux mille escuz. Si voulons et vous mandons que icelle somme vous allouez en sondit compte ou en l’estat5 d’icellui, en rapportant ces presentes tant seulement, non obstant ce qui par vous avoit esté allegué et quelxconques ordonnances, mandemens ou deffenses au contraire. Donné à Paris, en nostre hostel de Neele, le XIIe jour de janvier, l’an de grace mil CCCC et quatorze.
(Sur le repli, à gauche :) Par monseigneur le duc.
(Signé :) Faverot6.
a. deduction pourvu d’un tilde final, A.
1. Macé Héron, trésorier général du duc de Berry depuis 1410.
2. Ces étrennes renvoient à coup sûr aux cadeaux échangés au 1er janvier, jour de l’an neuf, totalement dissocié des « styles » de chancellerie qui gouvernent le changement du millésime tel qu’il est exprimé dans les actes. Mais l’année ici donnée est-elle 1413 ou 1414 (n. st.) ? L’acte, lui, est daté du 12 janvier 1415 (n. st.), et le compte litigieux finissait de son côté au 31 mars 1414 (qui ne peut être que 1414 n. st.). Cela suffit-il pour trancher ? Nous optons pour 1413 en invoquant le caractère très conventionnel des styles de chancellerie.
3. Robinet d’Étampes, anobli en 1404 par Charles VI, garde des joyaux et capitaine de la grosse tour de Bourges, exécuteur testamentaire du duc de Berry en 1416.
4. L’un des sens du mot « sommelier » donné par Godefroy est « conducteur de bêtes de trait, officier chargé des bagages de la cour ». Mais on trouve aussi le mot utilisé pour désigner un officier de l’hôtel chargé de la fourniture et de l’entretien du linge (DMF, http://www.atilf.fr/dmf/definition/sommelier ). Dans le contexte dela Sainte-Chapelle, le terme désigne peut-être les responsables des biens meubles de l’institution.
5. « L’état du compte » désigne un état abrégé, récapitulatif du compte.
6. Guillaume Faverot, secrétaire de la chancellerie du duc de Berry recensé par Lacour en 1413 et 1416.
- Parties du discours
Suscription
Jehan, filz de roy de France, duc de Berry et d’Auvergne, conte de Poictou, d’Estampes, de Bouloingne et d’Auvergne (l. 1)
Adresse
a noz amez et feaulx gens de noz comptes a Bourges (l. 1-2)
Salut
salut et dilection (l. 2)
Exposé
Nostre amé et feal conseillier et tresorier general Macé Heron nous a exposé que, comme nous lui ayons pieça donné la somme de deux mille escuz, tant pour les bons, agreables et notables services et plaisirs qu’il nous avoit lors faiz et faisoit comme pour le recompenser d’une croiz d’or garnie de perrerie qu’il nous avoit donnee a estrainnes le premier jour de l’an mil CCCC et treize, du pris de six cens et vint escuz, comme par noz lettres sur ce faictes vous est apparu, par vertu desquelles il ait voulu prandre en la despense de son compte finy au darrain jour de mars passé a sa descharge ladicte somme ainsi que faire le povoit, neantmoins vous avez esté reffusans de la passer en sondit compte, disans que vous aviez esté a plain informez par les comptes de noz joyaulx qui sont par devers vous en la chambre de nosdiz comptes ou autrement deuement que ladicte croiz estoit nostre et par nostre ordonnance et mandement avoit esté ja pieça baillee par nostre amé et feal conseillier et garde de nozdiz joyaulx Robinet d’Estampes a noz chappellains, clercs et sommeliers de nostre chappelle en gaige pour certaine somme en deductionement de ce qui deü leur estoit lors a cause de leurs gaiges ou pension qu’ilz prenoient et ont de nous, et par ainsy ne contenoient pas verité nosdictes lettres ne n’en devoit joïr nostredit tresorier, qui sur ce nous a requis nostre gracieuse provision afin qu’il puisse joïr de sondit don (l. 2-13)
Dispositif
Pourquoy nous, consideré ce que dit est, voulens vous estre a plain acertenez sur ce, vous certiffions par ces presentes que par nostredicte ordonnance et mandement et pour la cause dessus dicte nostredit conseillier et garde de nosdiz joiaulx bailla ja pieça ladicte croiz a nosdiz chappellains, clercs et sommelliers de nostre chappelle, qui pour ladicte somme l’engaigèrent, et pour icelle somme l’avons lessee encourir et consenti que le marchant qui sur ycelle avoit baillé la finance en peust faire et ordonner comme de sa propre chose ; et depuis nostredit tresorier l’achata dudit marchant ledit pris de six cens vint escuz qu’il a paiez de ses deniers et la nous donna ausdictes estrainnes, dont il nous fist tres grant plaisir, et pour ceste cause et autres dessus declairees lui donnasmes ladicte somme de deux mille escuz (l.13-19)
Clause injonctive
Si voulons et vous mandons que icelle somme vous allouez en sondit compte ou en l’estat d’icellui, en rapportant ces presentes tant seulement (l.19-20)
Clause dérogatoire
non obstant ce qui par vous avoit esté allegué et quelxconques ordonnances, mandemens ou deffenses au contraire (l. 21)
Date de lieu et de temps
Donné à Paris, en nostre hostel de Neelle, le XIIe jour de janvier, l’an de grace mil CCCC et quatorze (l. 21-22)
Mention de commandement
Par monseigneur le duc (repli)
Signature du secrétaire ducal
Faverot (repli)